
Dans mon école, avant la crise sanitaire liée au Covid, il y avait quelques enfants issus de la communauté des gens du voyage, plus ou moins présents longtemps suivant les années scolaires, certains re- venant et repartant tous les ans. L’année dernière, ces enfants ont été les premiers à beaucoup moins fréquenter l’école, et ce, même avant la fermeture des écoles le 13 mars 2020. Les familles ont été très effrayées dès février 2020, lorsque les mots « épidémie », « pangolin », « Chine », « morts » ont commencé à être beaucoup trop utilisés et le mot coronavirus à remplir de manière exponentielle le contenu des journaux télévisés et des chaînes d’infos.
Nous ne les avons pas revus non plus après le 11 mai 2020, ni en ce début d’année scolaire. Les parents les ont pour la plupart inscrits par correspondance au CNED.
Mais mardi, un nouvel arrivant au CP….
La mairie m’avait envoyé son dossier d’inscription par mail, mais j’avais décidé de profiter à 100 % de mon long week- end. Je le positionne dans une des deux classes de CP, les collègues s’étaient mises d’accord pour savoir qui allait le prendre.
“Mais mardi, un nouvel arrivant au CP….”
Nous accueillons donc l’élève mardi matin, il vient accompagné de ses parents qui nous avouent qu’il n’a pas été scolarisé depuis quasiment un an, et très peu depuis février 2021.
Aucun problème, ma collègue de CP les rassure, on différenciera…. La maman lui demande très gentiment de lui apprendre à lire vite, comme ça ensuite, il pourra aller « au CNED ». Nous lui répondons avec un sourire bienveillant que nous ne pouvons nous engager à ce résultat de façon certaine.
L’élève entre dans son rang avec plaisir. Il monte en classe et s’installe. Sa maîtresse lui montre les toilettes et le robi- net pour remplir sa gourde. Elle se méfie lorsqu’il dit que sa gourde est pleine, vu qu’il n’est plus scolarisé depuis plu- sieurs mois. Elle préfère donc vider le fond d’eau, enfin le fond de liquide. Le petit est assez farouchement, mais gentiment opposé, à l’idée de vider le fond de liquide con- tenu dans la gourde.
Ma collègue trouve que l’odeur est assez étrange, et ne ressemble en rien à de l’eau croupie.
Elle arrive dans ma classe en me disant : « Sens cette gourde, vite ! ». Me voilà donc en train de mettre le nez dans une gourde rouge « Cars ».
Mes élèves pensent que ma collègue me fait une blague et en rigolent d’avance.
Et là, je confirme ses doutes, c’est bel et bien du vin dans la gourde.
A 11h30, elle va donc voir les parents pour leur dire qu’on ne peut plus mettre de vin dans une gourde pour venir à l’école, et qu’un enfant de 7 ans ne doit jamais boire d’al- cool. La maman pensait que c’était comme du sirop et nous demande pourquoi on ne peut pas mettre un fond de vin dans la gourde. Nous lui expliquons alors que pour le développement du cerveau de l’enfant, ce n’est pas bon.
Après nos explications, elle nous a remerciées mille fois d’avoir pris le temps de lui expliquer parce qu’elle ne le savait pas et que bien évidemment, elle souhaite réellement le meilleur pour son fils.
Maintenant, la gourde de son fils est remplie tous les matins, et c’est uniquement de l’eau. Ma collègue vérifie encore tous les jours.
Ce métier est fantastique ; même dans mes rêves les plus fous, je n’aurais jamais pensé prononcer la phrase de ne pas mettre de vin dans la gourde d’un enfant, car franchement, le vin dilué à l’eau, ce n’est pas bon, on est bien d’accord ?
Flo, l’auteure de ce texte, est directrice d’école dans le Var, elle est également correctrice orthographique de DH
Article extrait de Dirlo Hebdo n°16 du 22 mai 2021