
8h20, A. arrive à l’école, le regard à la fois curieux et méfiant.
Accueil dans la cour, A. reste sur le seuil et regarde les autres enfants sans bouger.
8h40, regroupement.
« A. viens, on va dans la salle, viens A., viens », 1 fois 2 fois 3 fois, enfin je vais la chercher, lui tiens la main pour aller dans la salle de motricité.
Elle se précipite sur les ballons et renverse tout (elle a le droit, tant pis, c’est son rituel). Je la laisse faire, elle a l’air heureuse.
Les autres enfants l’ont admis aussi.
« A. viens, on enlève la veste, viens A., viens », 1 fois 2 fois 3 fois, enfin je vais lui enlever sa veste.
Elle ne s’échappe plus depuis 1 mois environ et nous pouvons laisser la baie vitrée ouverte (avec le Covid c’est quand même mieux !).

9h25, fin de la séance de motricité, rangement du matériel et des ballons !
« Viens A., on va dans la classe, viens A., viens », 1 fois 2 fois 3 fois, enfin je vais lui donner la main (elle ne veut pas donner la main aux autres) et nous montons en classe.
Les 29 autres suivent maintenant, seuls et autonomes (il nous aurait fallu 15 mains au 1er trimestre…).
De 9h30 à 10h, en classe, A. se rue vers les poupées et la dînette. Je la laisse faire, c’est son rituel. Les autres sont assis sur les bancs en attendant les consignes. Ils ont compris que A. était différente.
Dans ses « bons jours », A. erre d’un atelier à l’autre, regarde, touche, repart…
Je la laisse faire…
Si elle est décidée, elle vient vers moi et prend les feutres (j’en profite alors pour laisser des traces sur une feuille), ou elle va voir M., l’Atsem, au coin peinture, qui fait de même.
Si elle n’est pas décidée, elle s’énerve, part en courant, revient, crie, touche à tout, puis repart…
10h, « A. viens, c’est la récréation, viens A., viens », 1 fois 2 fois 3 fois, je lui tends la main et nous descendons.
“Et là, c’est la catastrophe…”
Et là, c’est la catastrophe. Elle est complètement perdue (le bruit, le monde, la grandeur de l’espace), elle n’a plus ses repères. Elle se met à crier, à pleurer et tente d’aller se réfugier dans les toilettes. (Aie aie aie, les mains ou la tête dans la cuvette…). Elle se fait gronder, nous lui lavons les mains et la remettons dans la cour. Les cris reprennent aussitôt.
Elle revient dans les toilettes (5 à 6 fois par récréation, dès que l’Atsem tourne le dos pour soigner un des 132 autres élèves).
10h40, nous remontons en classe (ouf).
Mais A. est énervée, fatiguée des péripéties de la récréation, et les cris ne cessent pas.
Les ateliers sont très difficiles à gérer, les placards doivent être fermés et rien ne doit traîner sur mon bureau, à part son jouet, une bouteille sensorielle qu’elle prend de temps en temps mais repose rapidement.
Nous travaillons tant bien que mal. Les autres enfants vont vers elle, essaient de lui parler, de lui tenir la main (nous avons beaucoup travaillé sur la tolérance, la différence) mais A. ne se laisse pas approcher, elle recule.
Nos yeux sont toujours rivés sur elle.
Soudain elle arrête de crier (Ahhhh, elle s’est calmée, elle est mieux…) et je l’aperçois debout sur le banc ou sur une table. « Non A., descends, c’est dangereux », et les cris reprennent.
Je la console, la calme, la câline, nous nous lavons les mains et elle repart.
Et hop, le temps de retrouver mes petits autonomes de 3 ans et demi et M. d’aider au lavage des mains de ceux qui ont fini la peinture, nous retrouvons A. un pinceau rose pailleté dans la bouche. « Nonnnnnnn » (trop tard).
M. va lui laver la bouche, laisse l’atelier de peinture et les petits seuls et autonomes.
Il est bientôt l’heure. Les enfants rangent tout et viennent sur les bancs.
A. revient, propre et l’air apaisé. (Ouf).
Je lui dis de venir avec nous, elle ne vient pas et retourne voir les poupées (ce n’est pas grave, on rangera cette après-midi).
C’est l’heure. « Viens A., on va voir maman, viens A., viens », 1 fois 2 fois 3 fois, je lui tends la main et nous descendons.
Je garde ma main dans la sienne car elle veut sortir. Les cris et l’agitation reprennent jusqu’à l’arrivée des parents.
Les matinées se répètent inlassablement.
Nous sommes au mois de juin, presque la fin de l’année. Oui A. a fait des progrès, elle ne s’échappe plus, ne reste plus devant la porte fermée de la classe en pleurant et ne crie plus autant qu’avant.
Le papa, avec qui je suis en contact régulièrement par téléphone, me dit qu’il a remarqué les progrès, il est content. Je confirme (Qu’ai-je donc dit là ?????) Il comprend qu’elle peut donc venir toute la journée à l’école ! (Euh non, je n’ai pas dit ça, cela reste très compliqué… etc.)
Mais peut-on lui en vouloir ? Les parents sont démunis et fatigués aussi.
Voilà, nous les soulageons, je peux le comprendre. Mais à quel prix ?
Quelqu’un peut-il seulement imaginer ce que nous avons vécu en début d’année, et pendant tout le 1er trimestre ?
A., perdue au milieu des 29 autres, les cris, les pleurs, « les pipis à la culotte » ….
Personne ne peut l’imaginer s’il ne l’a pas vécu au quotidien.
“Alors OUI à l’inclusion, mais pas n’importe comment !”
Une phrase résonne en moi, prononcée par le médecin du Camsp, lors d’une équipe éducative préscolaire : « A. à l’école, ça ne devrait pas poser de problème ! » (OUPSSSSS)
Alors OUI à l’inclusion. Nous accueillons de nombreux enfants (dont je tairai les noms, chut, c’est un secret) relevant de la MDPH et suivis au Camsp, et l’école est bénéfique pour eux !
Le petit W., qui vient parfois me faire un câlin quand je passe dans la cour, il a le sourire, quel bonheur ! Ou encore Z., aidé par une AVS, il a le sourire aussi !
Alors OUI à l’inclusion, mais pas n’importe comment !
Cette petite a l’air malheureuse, les parents aussi, et nous également.
Un jour, un papa m’a dit : « Mon fils vient en courant à l’école, il est heureux, merci, vous avez réussi ! ». C’est le plus beau compliment que l’on m’a fait.
A. n’a jamais le sourire ; Et ça c’est triste…
Cette petite fille a besoin de soins, d’aide personnelle et adaptée.
Elle a besoin qu’on lui tienne la main.
Je n’incrimine personne en particulier mais j’en veux à ce système inadapté et chaotique, lorsqu’une AVS est attendue comme le Messie et qu’elle ne vient pas.
A., une enfant différente, perdue dans un monde qui n’est pas le sien.
Nicole, l’auteure de ce récit du quotidien est directrice dans les Alpes-Maritimes, elle «voudrait simplement voir les enfants heureux ». Ce sont ses propres mots.
