Mon école est une école « tranquille » comme ils disent, en référence au grand Charles.

Je vais quand même vous narrer une journée dont on pourrait se dire qu’elle était exceptionnelle et c’est vrai que ce n’est pas tous les jours comme ça mais en y réfléchissant à postériori finalement les exceptions ne sont peut-être pas les mêmes mais l’exception devient le quotidien.

Nous sommes lundi, il est 8h30, je rentre en classe, à l’heure, avec mes CM, ça aurait dû me mettre la puce à l’oreille, il ne s’était rien passé depuis 7h30, pas un appel, pas un mail, pas un adjoint qui me saisisse d’un problème.

8h35, bruit dans le couloir, j’entends des pas déterminés qui s’approchent de ma classe !

L’AESH du petit A, blond aux yeux bleus, rentre dans la classe et me dit : « La maitresse m’a dit de t’amener A car il est rentré dans la classe en sautant les jambes écartées en criant « Qui veut me suc********  bip bip » et oui l’AESH n’est pas des plus fines en matière de discrétion et de psychologie.

OK, je remobilise mes élèves et là le téléphone sonne. Je ne réponds pas pour tenter de garder mon auditoire dans une certaine dynamique de travail mais le téléphone pleure encore et encore, en référence au grand Claude.

Je capitule donc et je réponds : « Allo, c’est la cellule COVID de la DSDEN, je voudrai savoir quand auront lieu les tests salivaires dans votre école ? »

« Et bien, c’est demain et vous devriez le savoir puisque c’est vous qui me l’avez dit vendredi à 17h30. J’ai donc envoyé un mail en urgence aux parents pour vérifier qu’ils n’avaient pas changé d’avis sur les autorisations collectées ».

« Ah d’accord, mais finalement les tests ne se dérouleront pas demain mais jeudi. »

Moi dans ma tête, « Qui est-ce qui va encore passer pour un incapable quand les parents vont recevoir un nouveau mail erratum, c’est bibi ! » mais pas de temps à perdre au téléphone pour lui exprimer mon mécontentement car mes élèves piaffent d’impatience !

Nous voilà donc plongés dans la dictée rituelle puis la séance de grammaire rythmée par la délicate mélodie du visiophone situé dans ma classe pour que j’ouvre aux différents taxis qui viennent prendre en charge les élèves d’ULIS.

Nouveaux bruits de botte dans le couloir, ça se rapproche. Devinez qui ? L’AESH, mais pas la même, celle d’ULIS qui m’apporte le petit N, pas blond aux yeux bleus, et me dit « La maîtresse m’a dit de t’amener N, car il ne veut plus travailler, chante à tue-tête, se roule par terre……….

Il faut dire que le petit N est arrivé à la rentrée chez moi en ULIS par défaut car cela fait 2 ans qu’il est notifié IME et qu’il a mis le feu partout où il est passé, d’ailleurs j’ai une ESS l’après-midi pour lui. J’y reviendrai.

La récré arrive avec ce sentiment que j’ai saupoudré un peu d’orthographe par ci, un peu de grammaire par-là, comme dans une recette du grand Philippe sauf qu’avec lui le résultat est bon, je ne pourrai pas en dire autant pour moi, même si je m’appelle aussi Philippe !

La récré passe, le petit G, n’a toujours pas compris qu’on ne règle pas ses différends au foot à coup de poings et ne comprend pas pourquoi il atterrit dans mon bureau.

La petite Z, en pleurs inconsolable parce que M l’a regardée, celle qui l’an passé avait avalé des boules de lierre hautement toxiques et que j’avais dû accompagner aux urgences sur recommandation du samu !

Le claquement des mains du directeur met fin à la récréation, les élèves se rangent sur les points rouges vestiges du retour à l’école après le grand confinement. Points placés pour respecter les distances, le confinement aura au moins servi à ce que les élèves se rangent dans le calme avant de rentrer en classe, il faut bien chercher du positif !

Je m’apprête à rentrer, quand je vois l’AESH courir vers moi, « On a perdu N, oui celui qui chante en classe ».

Nous partons donc à sa recherche, mes élèves de CM restent sur les points.

N s’était enfermé dans la salle du Rased et s’était mis en boule sous la table pour ne pas retourner en classe ! Du coup devinez où N va passer son reste de matinée………. Chez bibi !

Enfin on rentre en classe, mes pauvres CM sont transis. Je leur ai concocté une séance de sciences au TBI avec des expériences sur une musaraigne, je suis plein d’espoir, j’y crois à fond.

Petit tour oral pour savoir qui sait ce qu’est une musaraigne, très peu de doigts levés pourtant nous sommes à la campagne, mais c’est vrai qu’il n’y a pas de jeu sur la tablette ou le téléphone de papa maman avec une musaraigne……. Peut-être un créneau à prendre pour arrondir les fins de mois ?

J’allume le TBI et la musaraigne apparait ! 

« Oh on dirait une souris, un petit rat ….. ».

Et là, la douce sonnerie du visio, mais ce n’est pas un taxi.

« Bonjour, on vient pour poser les capteurs de radon, vous avez dû recevoir un mail ».

Dans ma tête, je cherche, je cherche …. Ah oui ça me revient, il y avait un mail entre les pubs pour le blackfriday, les mises à jour de commandes, les pubs pour les nouveaux systèmes ppms, les pubs pour faire des rencontres etc……..

Les techniciens rentrent dans ma classe, placent le capteur en haut de l’armoire et prennent des mesures au télémètre laser, ça fait des bips bips, ça clignote rouge, orange….. inutile de dire que mon TBI ne les intéresse plus vraiment, j’arrête donc en attendant la fin de la mise en place.

Un élève demande à quoi sert la boite noire placée en haut de l’armoire ?

La technicienne explique donc que c’est un capteur pour mesurer s’il y a du Radon dans la classe, et là mon petit Turc  s’écrie : « Ah ! c’est comme la musaraigne, c’est pour voir s’il y a des rats ! »

Je n’ai pas pu m’empêcher de rire, les élèves non plus d’ailleurs !

Nous reprenons le TBI, pas pour longtemps je vous rassure.

J’entends des bruits de botte, mais cette fois ci pas dans le couloir, ça vient de la cour……. La tension est à son comble……

Mon ATSEM arrive en courant de l’autre bâtiment et toute essoufflée me dit « Le papa de T vient de nous dire qu’elle est positive au Covid ! Qu’est-ce qu’il faut faire ? »

La suite vous la connaissez tous, ma séance de sciences qui avait du plomb dans l’aile va passer à l’as… de trèfle qui pique mon cœur comme disait le grand MC Solaar !

Voilà, ça c’était une matinée.

L’après-midi, ESS pour le petit N mais bien sûr pas de remplaçant mais ça tombait bien car j’avais intervention de la police sur le permis internet et je m’étais dit que je laisserai mes CM et les 4 ULIS en inclusion entre de bonnes mains car ils viennent à 2 et ont l’habitude des enfants. Sauf qu’au lieu d’être 2, elle était toute seule et enceinte donc fatiguée, bref je n’étais pas très serein, j’ai donc demandé à l’AESH d’aller dans ma classe.

2 heures d’ESS très compliquée pour le petit N.

16h30, vite, vite on fait le cartable, et je fais la sortie.

16h45, équipe éducative pour le petit E en CE2, extrêmement perturbateur, pour lequel on demande à la maman de mettre en place un suivi psychologique depuis 3 ans mais en vain, donc je prends un ton solennel et lui indique que si elle ne me confirme pas rapidement, très rapidement une demande de rdv, je serai dans l’obligation de rédiger une IP.

J’ai juste envie de remercier mes CM pour leur capacité d’adaptation et de m’excuser auprès d’eux pour les bribes de leçons que je peux leur dispenser.

Alors Monsieur le Ministre, tous les messages de reconnaissances que vous nous envoyez ne sont que paroles et paroles comme le disait la regrettée Dalida et ne nous permettent pas d’assurer nos missions.

Écrit de Philou AG, Directeur d’école dans l’Aveyron, 1er décembre 2021.