Peter et Murphy m’emmerdent donc.

Depuis mars 2020, j’ai changé de métier. 

J’avais pourtant, avec passion et envie, pris le flambeau de ma maman maîtresse d’école qui m’avait d’ailleurs eu dans sa classe en maternelle et celui de mon papa qui lui aussi m’avait « choyé » comme professeur d’anglais durant mes 4 années de collège. 

La première dose du virus de l’enseignement était donc entrée en moi en Moyenne Section et mon papa m’avait fait des rappels successifs qui m’avaient conduit à passer le concours d’instituteur puis à devenir directeur d’école.

Après des dizaines d’années à exercer ma passion, à aimer tout autant les derniers jours de classe en juillet que les retours en septembre après les vacances pour retrouver mes élèves, mes collègues, j’ai dû changer de métier.

Je n’y suis pour rien. C’est un virus, un autre, qui m’a fait changer de métier. Je suis devenu à mes regrets aujourd’hui en effet un personnel de santé publique

En 20 mois, j’ai suivi des cours accélérés pour tout comprendre du virus, pour savoir dans les moindres détails sa composition et ses mutations. J’ai étudié la façon dont il contaminait mes élèves, mes parents d’élèves et mes proches. 

J’ai même poussé mon envie de savoir à attraper ce nouveau virus, à m’isoler et donc à m’éloigner un temps pour vivre ce nouveau métier en solitaire. 

J’ai appris également depuis presque deux années à lire des protocoles sanitaires, des recommandations venant de scientifiques ou de responsables de mon nouveau ministère, celui de la Santé qui remplaçait celui de l’Education nationale.

J’ai regardé et écouté durant ces deux dernières années les chaines d’informations en continu qui distillaient avant tout le monde ce que je devais faire, ce que je devais penser. J’ai attendu patiemment des consignes officielles, qui arrivaient certes, mais souvent à quelques heures de la prise de garde de mon nouveau métier. 

J’ai dialogué avec des consœurs et des confrères qui ont dû comme moi changer de métier un beau jour de mars 2020. Nous avons échangé ainsi nos pratiques, nous avons émis des hypothèses, nous avons interrogé notre hiérarchie pour espérer avoir des réponses à nos prises locales d’initiative, nous avons dû réagir et parfois même surréagir face à des situations de crises que nous n’avions pas connues auparavant ; nous avons finalement fait, quand je tente de me remémorer mon métier précédent, tellement de choses en 20 mois.

Peu à peu, au fur et à mesure des mois, j’ai appris donc mon nouveau métier, j’ai appliqué du mieux que je pouvais, les fameuses consignes tardives. J’ai élaboré en équipe des plans de continuité, j’ai accueilli chaque matin mes patients au portail avec sourire en cachant comme tout bon personnel de santé mes états d’âme, mes craintes sur la journée qui arrivait, sur la semaine qui se présentait et sur la vie qui s’annonçait à eux.

Depuis 20 mois, à chaque fois qu’un semblant de vie justement redevenait plus agréable, plus conforme à mon métier premier, la loi de Peter se rappelait à mes souvenirs d’étudiant et à mon quotidien. 

Je résolvais pourtant, à mon humble avis, du mieux que je pouvais toutes les situations qui s’étaient présentées à moi et cependant, quelques semaines plus tard, malgré une organisation que nous trouvions en équipe optimum et réactive, tout était bouleversé par le virus et paradoxalement souvent par ma propre hiérarchie. 

Mon incompétence dans mon nouveau métier de personnel de santé apparaissait alors selon ma hiérarchie et cette dernière m’imposait des changements dans ma façon de travailler et je devais tout refaire, tout recommencer, tout réapprendre, et donc agir différemment selon les nouvelles directives des « sachants ».

Depuis ce début de janvier, la loi de Peter côtoie la loi de Murphy. Un nouveau changement a été ainsi imposé dans ma façon de travailler le 2 janvier et j’en ai été informé comme toujours par les médias la veille de la reprise de mon travail.

Comme si à chaque fois qu’un protocole fonctionnait, il fallait le changer. L’ingénieur américain Murphy avait donc raison avec sa formule célèbre « Quand tout peut mal aller, tout ira mal ». 

Je vais donc lire un énième protocole, je vais donc tenter de l’appliquer, je vais appeler mes consœurs et mes confrères qui comme moi vont tenter de faire bonne figure, de répondre à toutes les sollicitations des parents de nos patients, et de respecter le serment d’Hippocrate que j’ai prononcé sans le savoir au printemps 2020, serment stipulant que je dois protéger toutes les personnes qui se présenteront à moi.

Dans mon ancien métier, je me promettais d’enseigner ; dans mon nouveau métier, on m’a demandé d’appliquer des directives changeantes, fluctuantes.

Auparavant j’étais directeur d’école. C’était avant 2020.

Aujourd’hui, je suis un personnel de santé formé à l’informatique de crise, aux coups de téléphones de dernière minute, à la lecture des règlements sanitaires qui se succèdent à un rythme effréné, à la gestion de parents inquiets qui chaque jour m’interrogent et à qui, je réponds que tout ira bien

Je fais un nouveau métier. J’aimais pourtant terriblement le précédent.

Thierry PAJOT, Secrétaire Général du Syndicat des Directrices et Directeurs d’Ecole, Gonfaron, mercredi 5 janvier 2022.

NB : Laurence J. Peter est un pédagogue canadien spécialisé dans l’organisation hiérarchique, né en 1919 et mort en 1990. Il est connu pour son livre le Principe de Peter en 1970. Il y indiquait « Dans une hiérarchie, chaque employé tend à s’élever à son niveau d’incompétence […] avec le temps, chaque poste tend à être occupé par un employé incapable de s’acquitter de ses fonctions […] Le travail est accompli par les employés qui n’ont pas encore atteint leur niveau d’incompétence. »

Edward A. Murphy Jr. fut un ingénieur américain spécialiste en aérospatiale. Il est né en 1918 et a disparu en 1990. a travaillé notamment sur les système critiques. Il est connu principalement pour le principe qui porte son nom, la loi de Murphy. Son principe indiquait que « Tout ce qui est susceptible d’aller mal ira mal.” ou selon une variante plus détaillée : “S’il existe au moins deux façons de faire quelques chose et qu’au moins l’une de ces façons peut entraîner une catastrophe, il se trouvera forcément quelqu’un quelque part pour emprunter cette voie.”