
Monsieur le Directeur de cabinet,
Monsieur le Conseiller Social,
Mesdames et Messieurs les conseillers de M. le Ministre,
Nous vous remercions d’avoir répondu à notre proposition de rencontre pour parler de notre métier, la direction d’école. J’emploie ici volontairement le mot métier. J’y reviendrai.
Je me permets de vous présenter Mme Charlotte GIRARDON, directrice d’une école maternelle à Plaisance-du-Touch près de Toulouse, 7 classes, 200 élèves, directrice d’école depuis 15 ans dans différents départements et également titulaire du CAFIPEMF. Mme GIRARDON est la Trésorière Nationale de notre syndicat.
Mme Florence COMTE est directrice de l’école élémentaire Leï Cigalos à Puget-Ville près de Toulon, avec 12 classes pour un effectif total de 300 élèves. Elle est secrétaire et porte-parole de notre syndicat tout comme Mme GIRARDON. Toutes deux sont également coordinatrices PIAL avec de nombreuses AESH à gérer en plus de la direction d’école.
Je suis pour ma part directeur de l’école Saint-Pierre d’Arène à Nice avec ses 9 classes, ses 230 élèves issus de 46 nationalités différentes avec la présence dans notre groupe scolaire de 17 élèves Ukrainiens arrivés depuis mars dernier.
Notre syndicat est jeune, il a été imaginé, initié en décembre 2020. Son congrès constitutif s’est déroulé dans le Var au sein de l’école Leï Cigalos, de Mme Florence COMTE, ici présente donc. Nous étions une trentaine de directrices et de directeurs venus de toute la France pour poser les statuts de ce premier syndicat spécifique de la direction d’école, statuts votés puis déposés à la mairie de Gonfaron.
Un petit clin d’œil ici avec le département du Var, lieu de ce congrès, qui fut, en 1904, la terre d’accueil du premier syndicat d’instituteurs quand une amicale prit cette année-là, la véritable forme d’un syndicat.
Nous étions 30 à y croire, nous sommes aujourd’hui des centaines d’adhérents ; c’est peu sur les 45 000 directrices et directeurs d’école mais nous n’avons lancé officiellement les adhésions que le mois dernier quand tous les papiers nécessaires à notre création furent validés par le Tribunal du Var, tribunal compétent car lieu de notre siège social.
Notre syndicat a pour buts notamment :
– la réflexion sur toutes les questions relatives à la direction d’école : notamment enseignement, statut, rémunération, évaluation, orientation, insertion, intégration et formation tout au long de la vie ;
– la promotion de la fonction de directeur ou directrice d’école dans la diversité et la défense des intérêts professionnels, collectifs et individuels, moraux et matériels de ses membres ;
– l’aide des directeurs dans leur quotidien.
Le #S2DÉ est démocratique, indépendant, pluraliste et apolitique.
Chaque année, des directrices et des directeurs prennent du temps sur leur vie personnelle pour gérer au mieux leur école ; un directeur ne connaît pas la semaine de 35 heures, il arrive le premier le matin, il repartira le dernier.
De nombreux collègues cumulent la direction d’école à temps plein avec une charge de classe allant de 50 à 100 %. Vous noterez le changement de paradigme, nous sommes très souvent des directeurs à temps plein avec une charge de classe et non enseignant à temps plein avec une décharge de direction.
La moyenne des 45 000 écoles françaises publiques est de 4 classes. Ce qui signifie que des milliers de directeurs à 1, 2, ou 3 classes ont peu de temps officiel pour gérer l’immensité des tâches demandées par la hiérarchie, les mairies, les collègues, les APE, les parents d’élèves, les enseignants référents, les classes ULIS, UPE2A, l’EILE…
Ces collègues de petites écoles ont ainsi 12 jours par an et encore, nous avons des remontées de terrain qui indiquent que ce quota prévu par les textes n’est pas toujours respecté en raison du manque de remplaçants et du choix fait par les circonscriptions qui vont parfois privilégier de mettre un enseignant dans une classe où le titulaire est en arrêt plutôt que de respecter un dû sur les décharges.
Nous passons notre temps à l’école, nous y consacrons également une partie de nos vacances, de nos mercredis pour préparer par exemple l’inclusion de nos élèves à besoins particuliers, compléter des enquêtes institutionnelles, finaliser des comptes-rendus, appeler des partenaires, trouver des budgets pour des classes découvertes, répondre à des réunions hors temps scolaire comme les Conseils Écoles-Collège, les réunions des directeurs, les équipes éducatives ou de suivi scolaire ou bien encore recevoir les familles et parfois nous former….
Ce temps passé, ce manque de reconnaissance horaire, provoquent pour nombre de directrices ou de directeurs des renoncements à garder une direction, des démissions ou des mal-être avec des arrêts pour burn-out afin de se préserver et aussi pour sauvegarder parfois sa famille qui pâtit des heures passées à l’école.
Pourtant, la première chose réclamée par les adhérents de notre syndicat, mais vous ne serez pas surpris, est, non pas une augmentation des taux de décharge surtout pour les petites écoles (cela arrive en second), mais une augmentation des indemnités liées à la direction d’école, une augmentation qui se doit d’être comprise à l’avenir dans nos retraites, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.
150 à 400 euros pour gérer des écoles qui vont de la classe unique à des établissements à plus de 25 classes et/ou plus de 400 élèves qui sont plus grands en nombre d’élèves accueillis que certains collèges. Sans les personnels de ces derniers, sans les grilles indiciaires des chefs d’établissement.
150 à 400 euros pour prendre toutes les responsabilités, pour être l’interface entre les familles, les collègues adjoints, les enseignants spécialisés qui peuvent intervenir au sein de l’école, les intervenants extérieurs, l’Inspecteur de la circonscription, la MDPH pour des dossiers de demandes d’AESH, la mairie ou la communauté de communes si un syndicat à vocation unique gère l’école qui regroupe par exemple plusieurs villages.
Nous sommes sollicités sans cesse de l’ouverture du portail à sa fermeture, et la crise sanitaire a provoqué des sollicitations incessantes, quel que soit le jour de la semaine, y compris les samedis et dimanches.
150 à 400 euros qui ne suffisent pas à permettre de bien vivre, en plus du salaire, qui lui aussi, se doit d’être revalorisé par le dégel du point d’indice promis par votre gouvernement avant l’élection présidentielle.
Chaque année, 7 à 10 % des directions restent vacantes au printemps après le premier mouvement des titulaires. Si le métier d’enseignant n’attire plus, la direction d’école non plus.
Certes au 1er septembre suivant, toutes les directions seront pourvues mais elles seront données à des néo-titulaires non formés à la gestion d’une école, ou alors à des adjoints qui vont se dévouer.
Des collègues tuteurs vont les aider bien évidemment, des référents directeurs vont répondre à leurs questions mais combien resteront après cette année provisoire face à toute la masse de travail demandé à une directrice ou un directeur d’école ?
Cette masse de travail justement est différente d’une circonscription à une autre, d’un IEN à un autre ; un va, par exemple, nous réclamer chaque dossier d’élève à qui nous proposons un allongement de son cycle, puis validera, ou pas, ce maintien ; un autre donnera simplement un avis, un autre ne nous demandera rien sur ce sujet. Car, effectivement, c’est le conseil des maîtres qui est souverain sur la durée du cycle.
Je veux tout simplement ici dire, à travers cet exemple, que l’Éducation Nationale ne l’est pas toujours, nationale. Chaque IEN va donner des injonctions, des consignes qui ne seront pas les mêmes que celles de la circonscription limitrophe. Nous ne souhaitons pas avoir des clones d’inspecteurs mais une simple application du Code de l’Éducation.
Justement sur cette application, nous sommes également présents ce jour devant vous pour la loi RILHAC. Notre création est en effet concomitante avec le parcours législatif de la loi créant la fonction de directrice ou directeur d’école, loi initiée par Mme Cécile RILHAC, députée. Nous avons soutenu cette loi, nous vous avons écrit, nous avons fait du lobbying pour la promouvoir, pour la défendre. D’autres Organisations Syndicales comme le SE-Unsa, le SNE ou le SGEN-CFDT et des associations de directeurs comme le GDID ou GTRID ont œuvré également pour cette loi, finalement votée à une large majorité le 21 décembre dernier.
Dans quelques jours, dans quelques semaines, votre ministère sortira suite à cette loi, un décret, un texte réglementaire sur l’autorité fonctionnelle et sur les élections des parents d’élèves par voie électronique à discrétion du directeur d’école après avis du conseil d’école.
Dans le cadre d’un partage des tâches entre l’IEN et le directeur d’école, ce texte permettra, nous l’espérons, une clarification de nos tâches, de nos missions et de celles des IEN ; le syndicat des IEN, le SIEN s’est d’ailleurs félicité par l’intermédiaire de son Secrétaire général, M. Patrick ROUMAGNAC de notre création et, lors d’une discussion, il estimait que la loi RILHAC allait permettre par ce statut fonctionnel, une réappropriation par les IEN de leur cœur de métier : formation et évaluation des personnels, tâches souvent délaissées par la prise en charge du quotidien de nos écoles, de leurs écoles.
La loi RILHAC, dans son article 2 dont le texte devrait fixer les conditions dans lesquelles les enseignants nommés dans un emploi de directeur d’école bénéficient d’un avancement accéléré au sein de leur corps, permettra peut-être de donner une reconnaissance financière aux collègues qui, depuis des années, ont la charge d’une direction.
Nous sommes, Mme COMTE, Mme GIRARDON et moi-même à votre disposition pour toute discussion aujourd’hui ou à tout moment de votre réflexion sur l’école et la direction d’école en particulier.
Nous répondrons par notre présence à toutes les concertations sur notre métier si chronophage que vous pourriez mettre en place ; nous avons la passion de diriger des écoles, avec souvent une grande joie d’y arriver le matin et, malheureusement, souvent, un épuisement en fin de journée face au manque de reconnaissance financière, au manque d’aide en décharge et en personnel administratif.
Je vous remercie d’avoir pris le temps d’écouter ce propos qui est loin d’être exhaustif mais qui, je crois, peut être résumé en une phrase : « Nous ne voulons plus du statu quo sur la direction d’école, être directrice, être directeur, est devenu un métier à part entière au vu des responsabilités qui nous incombent. Nous ne sommes plus des pairs parmi les pairs comme le défendent d’autres syndicats, nous ne sommes plus un enseignant parmi les enseignants, nous méritons la reconnaissance, votre reconnaissance. »
Thierry PAJOT, Secrétaire Général du #S2DÉ, Ministère de l’Éducation et de la Jeunesse, Paris, 20 juin 2022 avec l’accord du Bureau National réuni le mercredi 15 juin 2022
Bravo pour cette lettre qui résume à grande échelle les difficultés de notre métier. Toutefois, je propose plus de fermeté dans les revendications et un suivi plus studieux des doléances. Par exemple exiger une réponse écrite et claire à CHAQUE courrier adressé au ministère sinon une action militante sera menée jusqu’à obtention de la réponse. C’est le seul moyen de faire entendre notre voix à travers un VRAI syndicat libre et militant. L’expérience du syndicalisme passif et opportuniste n’a pas permis d’atteindre les objectifs fixés ni bénéficier des droits demandés. Je rêve d’un syndicat qui réussit à réunir et à mobiliser jusqu’au bout ses adhérents et les directrices et directeurs d’écoles. Enfin, un syndicat sans acquis concrets n’est pas un syndicat…