« Madame la Sénatrice, Monsieur le Sénateur,
Ci-après, un témoignage sur ma fonction de directeur d’école. Il pourrait être écrit par chacun de mes pairs tant le constat est partagé. Les temps de décharge actuels sont insuffisants pour pleinement remplir notre tâche de directeur.
Notre employeur ne nous donne pas le temps des missions qu’il nous assigne. Ce temps de décharge qui nous fait défaut est devenu criant, lourd, usant.
Lors de nos réunions périodiques directeurs / IEN, c’est LE thème récurrent.
Nous lui rappelons que notre temps de travail a toujours largement débordé les horaires officiels. Nous lui demandons notamment ce qui justifie que nos soirées et nos week-end soient autant accaparés par tout ce que nous n’arrivons pas à mener la semaine.
Je lui ai précisé que lors de ces réunions, les directeurs présents autour de la table faisaient « oui » de la tête -nous sommes de bons et sages élèves- mais qu’en coulisse, chacun avouait son impuissance à remplir sa fonction; qu’il s’en dégageait une frustration, une mésestime professionnelle. Que nous sortions de ces réunions toujours dépités, écrasés par la masse de travail qui s’ajoutait invariablement au terme de chacune d’entre elle. Et aucunement une réunion d’où l’on ressort motivé, enthousiaste, prêt à mobiliser les personnels, les élèves, les partenaires…
Heureusement d’autres collègues appuient mes propos. L’IEN se dit conscient de cette charge qui ne fait que croitre, de ce trop-plein pour les directeurs.
Un exemple ? Une responsable DSDEN « Onde » m’a appelé récemment. Il y avait un conflit entre leurs saisies et les miennes pour certains nouveaux élèves. Dans notre échange, je lui ai glissé que la mise à jour des fiches de renseignements de début d’année ne demande pas loin de 5 heures de saisie informatique. « Ah bon, mais votre temps de décharge ne suffit pas pour le faire ? ».
Comment lui expliquer que ce temps sert à toute autre chose qu’à être crispé devant l’écran ?
Que j’ai en charge : la sécurité des élèves et des bâtiments, leur équipement, les commandes, les projets, les AESH, les intervenants, les partenaires, les élus locaux, les collègues, les parents, les élèves à besoins particuliers, les finances, l’animation d’une équipe, les mails, les enquêtes, les appels téléphoniques, le courrier, les livraisons, la liaison avec les services périscolaire (…) en 2 jours seulement.
Par ailleurs -et vous le savez bien comme élu(e) de la République- les services publics et leurs représentants font face à une défiance voire du mépris qui génèrent des tensions. L’école n’échappe pas à cette dérive. Le directeur est en première ligne pour réguler, apaiser, encadrer ces relations parfois délétères. Là encore, cela demande du temps, de la disponibilité que je n’ai pas toujours.
Et puis, s’il me reste un soupçon d’énergie, je dois me préoccuper de ma classe. Pas un modèle du genre… comment pourrait-il en être autrement ? Notre employeur nous le rappelle parfois : « Priorité à la classe ». Oui mais…priorité aussi à l’inclusion, aux élèves à besoins particuliers, à la sécurité, au numérique, au parcours culturel, à la lutte contre le harcèlement, à la coéducation avec les familles (…).
Tout est priorité pour le directeur.
Et après ma journée de classe, une deuxième journée commence : celle de directeur. Je dois alors traiter ce qui s’est accumulé pendant la journée. Alors le « pilotage pédagogique » de l’école est le parent pauvre de mon travail.
Mais en ai-je les moyens ?
Je suis à l’école de 7h45 à 18h00 non-stop. C’est au prix de cette implication qu’elle « fonctionne » sans accrocs majeurs. Le mercredi et dimanche sont des « journées-bonus » : elles me permettent de faire ce que je n’arrive pas à avancer le reste du temps.
Un regard sur les établissements qui m’entourent est parfois utile et instructif.
- Un collège proche (…) : 191 élèves ; 8 classes → une équipe de direction, une équipe de secrétariat, une équipe de vie scolaire. Ces personnels n’ont -bien évidemment- pas de charge d’enseignement.
- Mon école : 221 élèves ; 9 classes → l’équipe de direction, de secrétariat et de vie scolaire…c’est moi et moi seul, les jeudis et vendredis uniquement. Il est prévu d’installer un dispositif ULIS à la rentrée prochaine dans nos locaux, qui constituera la 10ème classe. Ce qui signifie 12 enfants supplémentaires qui relèvent du handicap scolaire et qui s’ajouteront aux 13 déjà scolarisés sur
l’école. Des élèves à besoins particuliers, des familles et des enseignants à accompagner.
Comment l’envisager sereinement ?
Avec mes respectueux hommages, François (…) – directeur de l’école élémentaire (…)
Le 03 novembre 2023