Notre syndicat a été destinataire d’une longue lettre d’un collègue directeur d’école (nombre de vues au 1er mars 2024 : 10 000)

Cette lettre de près de 10 pages sera envoyée prochainement par son auteur au Président de la République et à notre nouvelle ministre de l’Education et de la Jeunesse.

L’auteur nous a donné toute latitude pour la publier (sans la modifier) et, depuis quelques jours, sur le compte X du syndicat @s2de2021 ou sur le groupe fermé Facebook des adhérents, nous vous avons proposé quelques extraits qui vous ont fait réagir.

Il est donc temps désormais de vous la proposer en intégralité en respectant la mise en page, la syntaxe de l’auteur.

« Aujourd’hui, je me porte de plus en plus mal.

Je me demande qui suis-je, et ce que sera mon avenir. Avenir incertain dans un Monde qui ne me reconnaît plus, qui ne me respecte plus, qui n’accorde plus aucune valeur à ma stature et mon rôle ô combien important dans une démocratie républicaine prônant bienveillance, tolérance, valeurs citoyennes et avenir.

Tous les jours, j’accueille des enfants afin de leur apporter savoirs et connaissances, régis par un programme précis pour les faire avancer dans leur vie d’élève.
Tous les jours, j’accueille des enfants afin de leur apporter les notions de vivre ensemble et de tolérance, base d’une vie citoyenne et épanouie dans le respect de chacune et chacun.

Tous les jours, j’accueille des enfants afin de leur montrer leur potentiel, tout ceci afin de leur apporter une estime d’eux nécessaire à leur épanouissement, à leur bien-être.

Tous les jours, j’accueille des enfants de tous bords, de toutes situations, sans faire de distinction, en cherchant à faire progresser chacun dans la mesure de ses possibles, afin de l’emmener au plus loin. Bienveillance, égalité, équité, empathie font partis des mots revenants régulièrement ces derniers temps pour parler de notre avenir. Enfin, tout ceci est la définition purement théorique que l’on fait de moi, et j’appuie bien sur le mot «théorique »…

Aujourd’hui, j’accueille des enfants afin de leur apporter savoirs et connaissances à outrance, parfois sans aucune cohérence, avec des règles et des idées contraires, au gré et au vent des politiques qui changent, et des politiciens qui veulent marquer de leur empreinte le plus beau des ministères, comme un chien urinant le plus haut possible sur un mur pour montrer qu’il en est le propriétaire… Nous nous retrouvons face à des programmes intenables qui ne permettent pas aux élèves de consolider ce qu’ils apprennent. Une notion est à peine vue, qu’une autre lui succède, et encore, et encore… dans un rythme effréné afin de finir un programme indigeste et tellement lourd, que beaucoup de notions se perdront dans les pensées des élèves.

Aujourd’hui, j’accueille des enfants pour leur apporter les notions de vivre ensemble et de tolérance, et me confronte à la réalité de la société moderne : égoïste, personnelle et profondément intolérante. Le respect, les règles de politesse – tel qu’un  »Bonjour. » le matin, la reconnaissance ne sont plus. Comment en être autrement, quand les parents de ces enfants ne les respectent même pas et cherchent régulièrement à avoir raison quand il s’agit de parler de leur enfant. Comment faire quand des parents attrapent eux-mêmes des enfants en dehors de ma juridiction pour faire la loi et régler des problèmes – en n’ayant qu’une seule vision, celle de leur enfant, qui n’est souvent pas la réalité ou alors erronée / écornée ?

Aujourd’hui, j’accueille des enfants afin de leur montrer leur potentiel, leur apporter l’estime de soi nécessaire pour avancer. Mais comment faire quand je dois faire face à l’indifférence, la motivation inexistante, un travail qui n’est plus suivi en dehors des murs de la classe, des élèves qui ne savent plus écouter, qui ont une attention que de quelques minutes et qui n’ont souvent à la bouche que l’envie de jouer, de regarder la télé ou d’utiliser une tablette ? Comment lutter contre des médias de plus en plus présents, qui ont très bien compris que les enfants sont la population la plus à même de leur apporter du chiffre, au détriment de leur santé, de leur éducation et de leur estime ? Comment lutter contre des codes du corps et vestimentaires prônés par tous ces réseaux médiatiques qui amènent certains élèves dans une souffrance, et cela dès le plus jeune âge ? Nous devons enseigner des valeurs républicaines qui sont entachées et corrompues par un monde voulant du chiffre, des vues et des  »like ».

Aujourd’hui, j’accueille des enfants de tous bords, qui sont tous différents. Ce qui devrait faire la force de ce dispositif – si celui-ci avait une réelle cohérence et bienveillance envers les élèves – est en réalité la plus grande faiblesse et probablement la plus grande mascarade politique. Effectivement, tout enfant devrait avoir les mêmes chances et l’égalité des chances est un idéal que nous devons porter fièrement. Mais qu’en est-il de la maltraitance que subissent des élèves pour cet idéal, quand nous ne regardons pas celui-ci dans son entièreté ? Qu’en est-il des autres élèves devant subir ? Mettre des élèves avec des troubles spécifiques dans des classes classiques, sans ce soucier de leurs troubles, c’est leur manquer un profond respect ainsi qu’aux autres élèves de la classe. Je prends l’exemple d’un élève ayant des sautes d’humeur, retournant une classe, jetant des chaises, voulant planter un stylo ou un compas dans le corps d’un autre, a-t-il sa place dans une classe ordinaire ? Car ceci est une réalité et des élèves ainsi, j’en ai régulièrement. Pensez-vous que cet élève se sente bien dans ce cadre ? Pensez-vous que les autres élèves n’en subissent pas les conséquences, que ce soit sur leur bien-être et leurs apprentissages ? Pensez-vous que les personnels encadrant cet enfant n’en souffrent pas de devoir gérer un élève à profil particulier et les autres élèves afin que tout le monde puisse y trouver son compte ? L’inclusion est une idée fort louable et se doit d’être mise en place, mais seulement quand tout le monde peut en sortir grandi. Dans certaines situations, et elles ne sont pas rares, tout le monde en sort perdant, tout ça pour défendre une idée d’inclusion totale sans aucune bienveillance et cohérence. Tout ça pour économiser de l’argent sur des classes spécifiques, à profil, pour des élèves en ayant réellement besoin. Il y a de nombreux dispositifs, pour ces enfants en souffrances et ayant besoin de ce cadre, qui se voient se restreindre, voire disparaître, petit à petit dans un souci économique et d’inclusion à tout va.

Tous les jours, je croise des parents avec qui je dois construire une relation de confiance, de respect pour le bien de leur(s) enfant(s).
Tous les jours, je croise des parents avec qui je dois montrer toute la force et la neutralité de l’Institution, dictées par un code précis.

Tous les jours, je croise des parents avec qui je dois construire une coéducation pour que l’enfant puisse avancer à son rythme, en toute sécurité.
Tous les jours, je croise des parents en qui je dois avoir toute confiance, sans pouvoir remettre en cause leur parole ou leurs actes.

Tous les jours, je croise des parents avec qui je dois être conciliant sur de nombreux points, pour le bon fonctionnement de l’école.

Aujourd’hui, je croise des parents avec qui je dois construire une relation de confiance et de respect, quand ces mêmes parents n’ont aucune confiance en Nous et ne respecte plus l’Institution que nous sommes. Mais comment en être autrement quand même nos dirigeants, nos représentants n’ont d’estime envers nous que des discours mais aucun fait ? Comment montrer que nous méritons le respect et la confiance quand les enfants des représentants de la République ne sont pas scolarisés dans nos établissements publics mais dans des enceintes privées, garantissant soi- disant une meilleure condition de travail ? Comment lutter contre un eugénisme sociétal prôné indirectement par les hautes sphères favorisant le privé plutôt que le public, et dans le même temps empêchant une réelle mixité sociale ? Tout ceci pour ensuite demander aux parents, n’ayant pas les moyens de mettre leur enfant dans le privé, de respecter le public et que celui-ci fonctionne très bien ? Rien que par ce fait, la confiance entre nous et eux ne peut se construire.

Aujourd’hui, je croise des parents avec qui je dois construire une relation de confiance et de respect, et surtout ne pas avoir des propos plus hauts que les autres sous peine d’être sanctionné par la hiérarchie – si jamais le parent venait à s’en plaindre ou porter plainte. En revanche, j’ai le droit d’être insulté, menacé, ridiculisé, diffamé par ces mêmes parents et surtout ne pas faire de vague. Rares sont les hiérarchies nous invitant à porter plainte et nous soutenir, en général la réponse apportée est de laisser couler, et surtout de faire une réunion avec cette famille afin de trouver une solution.

Aujourd’hui, je croise des parents avec qui je dois montrer toute la neutralité éducative mais pour qui je vais bientôt devoir donner un CV des anciens élèves pour montrer que notre établissement est bon. Rien que ce terme « bon » d’ailleurs me donne des nausées, depuis quand est-il possible de comparer des écoles ? De juger les enseignements et les enseignants ? C’est simple, depuis que les Gouvernements successifs ont laissé faire – voire même y ont contribué – en ne rappelant pas les règles de fonctionnement de l’école publique. J’entends régulièrement des propos des politiques complètements fantaisistes nous concernant, mélangeant primaires/secondaires/supérieurs et les moyens alloués (collectivité, département, État). A présent, il est donc normal que les parents fassent de même, demandant le  »pedigree » de l’école, le projet éducatif, les sorties prévues, la constitution des classes (structure, nombre d’élèves), si il y a des élèves à profil, les locaux (autres que la classe), pour ensuite comparer avec les établissements alentours (privés ou publics). Nous devenons un produit de supermarché et devons vendre notre école pour espérer avoir l’inscription de leur enfant. Trop d’enfants à profil, cour de récréation trop petite, trop de niveaux par classe, la tête de l’enseignant ne convient pas, trop d’élèves de tel ou tel statut social : on va ailleurs.

Aujourd’hui, je croise des parents avec qui je dois construire une coéducation, demande institutionnelle, mais sans obliger les parents à en faire de même. En effet, nous devons prendre en compte un élève dans sa globalité – et c’est tout à fait normal – mais dans un contexte bien défini : celui de la structure de la classe, propre à chaque établissement (nombre d’élèves, nombre d’élèves à profil, nombre de niveaux..) ; quand les parents pensent un : leur enfant. Comment faire de la coéducation quand nous pensons collectifs et que eux pensent individu ? Je comprends souvent leur point de vue, mais eux ne comprennent que très rarement le nôtre. Les classes se trouvent de plus en plus confrontées à une grande hétérogénéité, et ce dans une même classe, et nous devons faire avancer tous les élèves à leur rythme, sans les brusquer, sans les mettre en difficulté, et les faire tous avancer. Si vous avez la solution, n’hésitez pas à m’en faire part, je suis preneur.

Aujourd’hui, je croise des parents avec qui je dois justifier de ne travailler que « 24 heures » par semaine, avec « énormément de vacances » en plus d’avoir tous mes week-ends, contrairement à eux qui  »travaillent ». Qu’en est-il des ces nombreuses heures dissimulées ? Toutes ces heures de préparation, de remise en question afin de chercher à toujours proposer quelque chose de cohérent et motivant pour les élèves ? Qu’en est-il de ces nombreuses heures de correction ? De ces réunions à des heures où les parents peuvent être disponibles et qui ne sont que trop rarement l’heure de sortie des élèves ? De ces nombreux conseils de maîtres, de cycle, école-collège, équipe éducative, de suivi de scolarité ? Soit disant, celles-ci entrent dans un package de 108 heures – qui justifie notre présence 24 heures semaine devant élèves, mais qui additionnées vont bien au-delà de cette quotité horaire. Quand je vois du personnel déjà présent 40 heures par semaine dans leur établissement, sans compter les heures de préparation et de correction au domicile, ne serait-ce pas ce qu’on appelle du travail dissimulé ? Et qu’en est-il de la vie de famille ?

Aujourd’hui, je croise des parents en qui je dois avoir toute confiance, et même quand on sait qu’ils nous mentent, on ne doit rien dire pour ne pas faire de vague. De toute façon, que faire quand même l’Institution ne nous défend pas et leur donne raison ?
«Mon enfant a été malade toute la semaine», voilà une excuse que nous avons régulièrement pour des vacances sur le temps scolaire, absence donc justifiée par un mot écrit et recevable alors même qu’on sait qu’ils étaient partis. Certains parents jouent le jeu et disent la vérité, font une lettre à l’Académie qui refuse mais sans aucune sanction, ce qui fait que les parents ne se gênent pas, et je les comprends car c’est une certaine autorisation détournée. L’assiduité scolaire est une obligation pourtant rien n’oblige un parent à dire la vérité, pouvant justifier toute absence par des subterfuges (notamment enfant malade) car aucune preuve ne leur ai demandée au final.

Aujourd’hui, je croise des parents en qui je dois avoir toute confiance, étant donné qu’il m’est interdit de « mener l’enquête » quand je me pose des questions sur le bien- être d’un élève, si ce n’est faire une IP pour montrer que je m’inquiète à des services sociaux très souvent noyés de dossier et ne pouvant pas intervenir dans l’immédiat. Quand j’observe des choses sur un élève, je ne peux prendre de photo pour preuve, cela pourrait se retourner contre moi, mais je dois en avertir les personnes adéquats – qui souvent ne peuvent intervenir dans l’immédiat. Ou alors, si, on vient prendre l’élève et on nous laisse avertir les parents de ce qui s’est passé. Effectivement, nous devons être informateur et médiateur, drôle de paradoxe. Nous devons informer qu’un enfant s’est plaint d’attouchements par son père et recevoir ce même père le soir pour l’avertir que nous avons signalé les propos de son enfant au procureur et qu’il a été emmené par les forces de l’ordre. Mais nous ne devons pas le juger, juste l’en informer et trouver des solutions avec (en évitant parfois de se prendre des coups…).

Aujourd’hui, je croise des parents avec qui je dois être conciliant sur de nombreux points, et pour qui un règlement d’école ne les concerne qu’en partie et sur ce qui les intéresse. Les horaires de l’école ne conviennent pas, ce n’est pas un souci, on arrive à l’heure que nous souhaitons, l’École n’ayant pas le droit de refuser un enfant. En effet, si le parent laisse l’enfant devant l’établissement et sonne ou prévient de sa présence, et qu’il se passe quelque chose, même si la responsabilité n’est logiquement pas engagée, le directeur ou la directrice ne sera pas vu ainsi par la hiérarchie. Certains parents en venant même à jeter par dessus les grilles leur enfant pour que l’école ne puisse pas le refuser. Parents qui s’agacent que leur enfant sorte avec 2 minutes de retard de la classe, ou qu’une réunion a un léger retard (et/ou qui prennent tout leur temps pendant la réunion et mettent en retard pour le créneau suivant), et qui se refusent d’arriver en retard à leur travail, car oui, « ils travaillent eux ».

Aujourd’hui, je croise des parents avec qui je dois être conciliant sur de nombreux points, comme des enfants malades venant à l’école car « vous comprenez, il voulait absolument venir », ou encore « Je n’ai pas d’autres solutions que de le mettre ». Or, comme nous ne pouvons pas refuser un élève, sauf si celui-ci a de la fièvre ou ne sent vraiment pas bien, et bien il est accueilli. Du moins, il est accueilli le temps que le  »doliprane » donné par le parent juste avant l’école ne fasse plus effet et que l’enseignant doive appeler la famille car, tout compte fait, l’enfant ne va pas bien. Et là, on se prend des remarques du genre qu’ils sont au travail, qu’ils ne peuvent venir de suite et qu’il faut attendre. Où en est le respect de l’élève à ce niveau ? Et le respect envers les autres élèves et l’enseignant qui souvent se retrouvent malades par celui-ci, alors que ceci aurait pu être évité ?

Aujourd’hui, je croise des parents avec qui je dois être conciliant sur de nombreux points, car « vous n’avez rien à dire, ce sont mes impôts qui vous paient ! » C’est dans ces cas là, que le terme « service public » prend tout son sens probablement, nous sommes un « service », et donc devons « servir » « sans rien dire ».

Tous les jours, je dois coopérer avec des collègues dans l’intérêt de l’institution et montrer que tout va bien.
Tous les jours, je dois animer l’établissement pour faire évoluer les fonctionnement des classes, amener les enseignants à se remettre en questions pour utiliser de nouvelles pratiques.

Tous les jours, je dois faire avec les impondérables et trouver des solutions pour tout et tous.

Aujourd’hui, je dois coopérer avec des collègues pour montrer que tout va bien, alors que la plupart d’entre eux sont épuisés, à bout, et ne tiennent que pour leurs élèves et leurs réussites. J’en croise régulièrement venant malades, par peur de ne pas pouvoir être remplacés et pour ne pas pénaliser les autres classes (et les collègues), ou pour ne pas être critiqués par des parents incompréhensifs. Mais à quel moment l’Institution se préoccupe t-elle de la santé de ses salariés ? Où est la médecine du travail ? Où sont la bienveillance quand un enseignant n’a d’autres choix que de prendre un rendez-vous médical sur le temps de travail et qu’on le lui reproche car « vous avez les week-end et les vacances pour cela », et que donc il se retrouve avec une autorisation d’absence sans traitement ? Je ne parle même pas des événements particuliers et exceptionnels tel qu’un enterrement (même d’un collègue, d’un élève). Toute demande dépendra du besoin du service, car le service doit fonctionner, et sera souvent alloué sans traitement, comme une sanction de l’Institution de ne pouvoir être en classe et que nous le voulions. Enfin, je dis l’Institution mais je devrais plutôt dire de l’Inspecteur qui a ce pouvoir de dire « oui » ou « non » sans réelle règle formalisée et nationale.

Tous les jours, je dois animer l’établissement pour faire amener les enseignants à évoluer leur pratique, en imposant des méthodes de travail au gré des Inspecteurs, des Directeurs Académiques, des Recteurs et des Ministres. Il existe, légalement, une liberté pédagogique qui doit permettre à chaque enseignant de pouvoir apporter des connaissances et des compétences de la manière qu’il trouve la plus adaptée. Or, celle-ci se voit régulièrement mise de côté par des idéaux hiérarchiques (nationaux, académiques, de circonscription) amenant un conflit régulier entre enseignant et hiérarchie, et provoquant une grande mascarade dans une Éducation Nationale qui n’a de Nationale que les programmes. Je ne parle même pas des lobbying des « pontes de l’éducation » vis à vis des manuels scolaires, des méthodes (de lecture, des mathématiques), pontes qui pour la plupart n’ont jamais vu d’élèves autrement que par des statistiques et des chiffres. Les évaluations nationales en sont une triste preuve : des passations inégales (classes à simple niveau, multi-niveaux ; résultat en pourcentage sur des effectifs très petits ou très grands, une différenciation quasi inexistante…) qui pour les enseignants peuvent donner des pistes (mais nul besoin de celles-ci pour savoir le niveau de leurs élèves, ils ne les ont pas attendu pour évaluer les nouveaux élèves) mais qui statistiquement parlant n’ont aucune valeur, si ce n’est de donner des chiffres sans en comprendre ni la cause, ni l’effet.

Aujourd’hui, je dois faire avec les impondérables afin de trouver des solutions tout en gérant les élèves. Élève en retard, enseignant malade, remplaçant en attente, absence de remplaçant, élève malade qui doit repartir, rendez-vous pendant le temps scolaire, venue d’intervenants extérieurs (infirmière scolaire, remplaçant, membre du RASED, PMI, intervenant sportif, personnel de mairie,…). Je dois faire de mon mieux pour que l’établissement tourne et tout ceci en apportant des connaissances aux élèves, en répondant aux questions des parents, en étant disponible au téléphone, en étant alerte sur les mails, en étant vigilant sur les abords des locaux. En étant disponibles pour tous. Je dois prendre des rendez-vous avec les parents quand eux sont disponibles, car eux travaillent et ne peuvent être disponibles quand nous le sommes, et on se retrouve parfois avec des rendez-vous à 18h ou 18h30 quand notre journée s’est terminée à 16h30, le mercredi ou le samedi car les parents ne sont pas disponibles autrement, et tout ceci, sans devoir dire quoi que ce soit, afin de trouver une solution pour le suivi scolaire de chaque élève.

Tous les jours, je dois travailler en partenariat avec la collectivité et justifier le fonctionnement de l’établissement pour avoir le nécessaire pour fonctionner. Tous les jours, je dois échanger avec la municipalité et faire avec ce qu’elle peut offrir, pour faire fonctionner au mieux mon établissement.

Tous les jours, je dois fonctionner de manière neutre et apolitique afin de respecter les valeurs de l’école publique, au sein d’une organisation politisée et ayant une position partiale.

Aujourd’hui, je dois travailler en partenariat avec des collectivités qui, en réalité, en sont des pseudo-dirigeants.  »Dépendre de quelqu’un c’est devoir s’y soumettre ». C’est la réalité de bon nombre d’entre nous devant accepter de travailler avec des maires avides de pouvoir et d’autorité. Heureusement, ce n’est pas pour tout le monde ainsi, ce qui montre encore que l’Éducation Nationale n’a de nationale que le nom… Le financement et les locaux dépendent des municipalités et donc en grande partie du maire et de son conseil municipal. Il suffit juste que la relation ne se passe pas comme il faut, que vous ne soyez pas du même bord politique, que vous avez osé aller contre une décision de celui-ci, que vous ne soyez pas allé à un événement de la ville, pour vous voir blacklisté et subir le courroux de la municipalité. Interdiction de manger dans les locaux, interdiction de venir en dehors des heures de classe, obligation de quitter les lieux de suite à la fin des cours, sont quelques exemples que certains parmi nous vivons au quotidien.

Aujourd’hui, je dois échanger avec la municipalité pour faire fonctionner au mieux l’établissement. Ainsi, les budgets alloués aux fournitures, aux mobilier, au matériel dépendra du bon vouloir de la municipalité et de l’intérêt qu’elle portera à l’éducation et l’école de sa localité, mais aussi des budgets propres à celle-ci. Ainsi les localités avec un grand budget peuvent se permettre d’investir dans de l’équipement moderne, dans du matériel, proposer des lieux extérieurs (gymnase, piscine, bibliothèque…), financer des sorties et des transports, quand celles avec peu de moyens font de leur mieux, et malgré leur bon vouloir, limite involontairement les possibles. Ainsi on peut se retrouver avec des écoles toutes équipées numériquement et des écoles n’ayant pas du tout de numérique (ou des vieux ordinateurs datant du début des années 2000). Alors, vous me répondrez qu’il existe dorénavant le NEFLE. Effectivement. Mais, ce projet est à monter par le directeur, et l’équipe, et doit être soumis à une commission – elle même ayant un budget à respecter – et donc ne permet en aucun cas une égalité pour tous les élèves, même si elle permet de trouver un moyen de subventionner quelques projets (choisis par l’état et non par les enseignants).

Aujourd’hui, je dois fonctionner de manière neutre dans un monde politisé, car je dépends d’une municipalité qui – la plupart du temps – appartient à un parti politique et donc, en fonction de celui-ci, met en place une politique propre. Or, dépendant d’une politique municipale, nous dépendons de la mairie que ce soit pour les locaux ou les budgets, nous devons en accepter les conséquences et les idées (notamment lors de conseil d’école où les intérêts de la municipalité peuvent être en contradiction avec des parents d’élèves élus n’étant pas forcément du même bord politique).

Tous les jours, je dois respecter un programme scolaire proposé par le Ministère, construit pour le bien et la réussite de tous.
Tous les jours, je fais parti d’un système qui est national, construit sur des lois et des Bulletins Officiels pour toute la profession.

Tous les jours, je fais fonctionner le pays en étant fonctionnaire d’État au service des citoyens.
Tous les jours, je représente l’État et fait vivre les valeurs républicaines au sein de mon établissement.

Aujourd’hui, je dois appliquer un programme construit par des pédagogues et des scientifiques, en accord avec les possibles et les capacités des élèves selon leur âge. Or, si nous y regardons de plus près, les programmes ne sont que le reflet de processus politique où chaque ministre cherche à mettre son nom sur un papier pour montrer son passage. A aucun moment il n’y a d’intérêt porté à la réussite et à l’émancipation des savoirs pour les élèves. Je suis apolitique et neutre, j’ai ce devoir citoyen de neutralité aux yeux de la Nation, et pourtant mon contenu est politisé et utilisé à tort et à travers pour glorifier ou attaquer le pouvoir en place. Quel paradoxe. Il serait, pour le bien de tous les élèves et par respect envers le corps enseignant, d’avoir un collège d’experts : pédagogues, scientifiques, psychologues, enseignants, etc., agissant en toute neutralité et complètement dissocié de la présidence et de la politique. J’entends régulièrement des comparaisons avec les pays où le système éducatif fonctionne bien (pays du Nord notamment : Canada, Norvège, Finlande, Danemark), mais avez-vous regardé leur programme et la fréquence des changements dans ceux-ci ? Je ne pense pas qu’ils changent tous les 3-4 ans… De plus, il serait temps de comparer ce qui est comparable en terme de mixité sociale, la France restant un pays – terre d’accueil et de liberté – ayant une richesse culturelle très étendue, au profil ethnique et social très hétéroclite. C’est une force et d’une beauté sans équivoque, mais également une variable à prendre en compte quand on parle de nous : barrière de la langue, de la culture, de l’histoire…

Aujourd’hui, je fais partie d’un système qui est identique pour tous au sein de la Nation. Euh, en fait, non, pas vraiment… même pas du tout. Je devrais plutôt dire, aujourd’hui, je fais parti d’une organisation sectorisée dépendant d’un inspecteur, lui même dépendant d’un IA-DASEN, lui même dépendant d’un recteur, lui même dépendant du Ministre, lui même dépendant du Président. Cela en fait du monde et des idées, des théories, des envies, des mouvances pédagogiques, et des façons de fonctionner…. car oui, en regardant de plus près, chaque circonscription a son propre fonctionnement, ses propres règles, ses propres documents administratifs (PAP, RASED, PPRE, demande d’absence,…). Chaque région a son propre suivi d’élève, ce qui fait qu’un élève arrivant d’un autre région ne peut être retrouvé dans la base de donnée, car elles ne sont pas communicantes. Les priorités de territoire ne sont pas réellement prises en compte mais dépendent des priorités voulues par les instances hiérarchiques et selon le territoire au global, ainsi on priorisera plutôt les REP, les écoles rurales, les REP+, les écoles isolées… selon les envies et les goûts, on permettra des subventions selon des critères différents selon l’école, son IPS, sa localité, son statut… Pire que le Far West, car aucune règle n’est nationale, chacun fait comme il veut.

Aujourd’hui, je fais fonctionner le pays et suis au service des citoyens, ainsi je ne peux être absent sans être jugé, critiqué ou insulté. Je suis au service de, je dois donc accepter que je ne peux décider ou contraindre à. Même un règlement d’école n’a aucun poids face à certains utilisateurs, ou devrais je dire consommateur, de l’école. La faute à des gouvernements ayant régulièrement pris parti pour les parents (vive l’électorat) et que trop peu souvent défendu leurs fonctionnaires face à des situations où l’école ne faisait que d’appliquer ses règles et ses valeurs. La laïcité en est le plus bel exemple, où nous devons signaler tout comportement allant à son encontre mais où il existe tellement de cas particulier qu’un vadémécum a dû être fait et doit être mis régulièrement à jour. La complexité ne peut provoquer que le contournement d’une règle pourtant élémentaire dans un pays comme le nôtre où la liberté de tous ne peut venir poser problème à la liberté de l’autre. Nous formons des enseignants à la laïcité mais en oublions que, sauf très rares exceptions, les enseignants sont respectueux des valeurs républicaines et les enseignent, et qu’il serait peut-être temps de se poser la question : « Comment les faire vivre au sein de la population adulte qui ne la respecte pas ? », l’école ne peut réparer ou résoudre tous les problèmes et les maux de la société.

Aujourd’hui, je représente l’État et fait vivre les valeurs républicaines au sein de mon établissement, dans un monde où la société ne veut plus les respecter car elle ne s’y retrouve plus. L’École est le premier interlocuteur représentant l’État pour les citoyens, et n’a aucune arme pour se défendre face aux multiples guerres politiciennes. Elle doit véhiculer, partager, éduquer des valeurs à des enfants dont les familles ne les respectent plus. Elle doit compenser des carences éducatives et sociétales, en participant à des projets : lutte contre le harcèlement, semaine pour l’égalité fille-garçon, lutte contre l’homophobie, lutte contre le décrochage scolaire, lutte contre l’absentéisme, semaine des mathématiques, semaine des langues, semaine des sciences, 100% de lecture en CP, projet pHARe, prévention pour l’utilisation d’internet et des réseaux, semaine des médias et de la désinformation… et j’en passe. Bien que l’école doit être actrice dans tous ces projets, combien de ces projets dépendent-ils vraiment de la responsabilité scolaire ? Combien en sont, normalement, sous la responsabilité parentale et font suite à une éducation ? L’École enseigne naturellement des valeurs. Tous les jours, je vois les valeurs républicaines au sein de mes classes transmises par les personnels. Certes, elles mettent parfois du temps à être comprises par les élèves, mais est-ce la faute des enseignants quand ceux-ci n’ont les élèves que 24 heures par semaines, contre 144 heures pour les parents ?

Aujourd’hui, je me porte de plus en plus mal car je suis maltraité de toute part et je ne peux exister que grâce au courage et à la force qu’ont les enseignants à me tenir debout et à croire en moi.

Aujourd’hui, je me porte de plus en plus mal car je ne me reconnais plus dans cette volonté d’inclusion qui détruit de nombreux enfants. Aucune économie ne devrait être envisagée au détriment du bien-être et des apprentissages de tous.  »Des classes pour tous » ne devrait pas dire  »Tous dans la même classe », mais  »Tous dans une classe adaptée pour nous, en fonction de qui nous sommes ».

Aujourd’hui, je me porte de plus en plus mal car l’idéal que je dois représenter n’est aujourd’hui qu’un ligne financière dans un projet gouvernemental. Fermer des classes, grossir des effectifs, pour gagner quelques euros, ce n’est pas l’idée qu’on devrait avoir de moi. L’Éducation est un investissement, un prêt sur minimum 16 ans, mais qui, s’il est bien utilisé, peut rapporter bien plus qu’il ne coûte. Un enfant instruit et prenant goût à apprendre, dans un cadre dans lequel il se sent grandir, serein et estimé, ne peut que lui ouvrir les portes d’un monde professionnel qui garantira à l’État un retour sur investissement par les impositions qu’il versera.

Aujourd’hui, je ne pourrai me porter mieux que si enfin je retrouve mes lettres de noblesse auprès des citoyens français, protégé et valorisé par des politiques qui en comprennent mon importance et acceptent de ne plus m’utiliser, et me donner une certaine indépendance pour gagner en cohérence pour la réussite de tous.

L’École Publique a été construite pour être le pilier de la République, elle doit le rester.

L’École Publique est le socle, le tuteur, la structure rigide et intangible, des valeurs Républicaines, de la citoyenneté, et surtout de la Démocratie.

Alors, par pitié, ne faites pas de moi un exutoire ou un jeu, et respectez moi pour ce que je suis, ce que je représente et ce que j’ai à offrir à tous.

L’École Publique. »

Lettre reçue sur « accueil@s2de.fr » le samedi 17 février 2024, mise en page de TP, Gonfaron, 21 février 2024