Madame Véra TUR-GRIGORIEFF

                                                                

                                                     Monsieur Pap Ndiaye

                                                     Ministre de l’Education Nationale

                                                     110, rue de Grenelle – 75007 PARIS

Monsieur le Ministre,

Par ces temps difficiles où les enseignants sont en grande souffrance, je tiens à vous faire part d’un voyage au Canada où j’étais invitée par une enseignante dans une école publique de Montréal située dans un quartier populaire. A l’occasion d’un voyage privé, je venais présenter à une classe de CM1 un livre de 40 recettes du Monde réalisé par les élèves de mon ancienne école à Marseille.

En effet, après avoir enseigné, puis dirigé pendant 35 ans une grande école dans les quartiers nord de Marseille (institutrice, professeur des écoles, maître-formateur, directrice déchargée, aujourd’hui retraitée), je continue à animer bénévolement des ateliers lors des vacances scolaires. Dernièrement un projet CUISINE de février 2021 à septembre 2022.

Officiellement invitée dans cette classe, j’ai pu également visiter l’école et questionner l’enseignante en poste. Mon étonnement allait grandissant au fur et à mesure des constatations suivantes :

Dans la Province de Québec en école élémentaire :

1/ Nombre d’élèves/classe : maximum 22 au cycle 2 et 26 au cycle 3Attention, les élèves en grandes difficultés ou à problèmes peuvent compter pour 2 ou même 3 ; ce qui engendre une baisse du nombre d’élèves dans la classe car il vous suffit d’avoir dans votre classe 2 élèves à gros problèmes qui vont compter pour 6 ! Si ce seuil est dépassé, l’enseignant reçoit une prime mensuelle pour gérer cette situation. Pour information, l’enseignante invitante en avait 15 l’année dernière et 17 seulement cette année !

2/ Nombre d’heures enseignées/ jour : 4 h. Les élèves ont cours 5 heures par jour, l’heure manquante est enseignée par des « spécialistes » professeurs d’anglais, d’EPS, de musique, d’informatique ou de théâtre. L’enseignant titulaire de la classe ne doit pas faire de co-enseignement et quitte la classe.

3/ Grand nombre de salles libres : il y avait plusieurs salles entièrement libres qui servent aux cours de musique, de théâtre et d’anglais ; également une grande salle équipée pour les ateliers cuisine. C’est dans cette salle que déjeunent les élèves lors de la pause méridienne où chacun apporte son casse-croûte. Exit les problèmes de cantine, de pause méridienne trop longue et de cris de part et d’autre car cette pause ne dure que 45 minutes. Egalement une grande bibliothèque gérée par des parents bénévoles et des enseignants.

4/ Grand nombre de locaux sportifs : un immense gymnase accueille toutes les classes ainsi qu’une patinoire jouxtant la grande cour d’école. Egalement un terrain de jeux extérieur permettant aux élèves de décomprimer le cas échéant lors des temps de classe.

5/ Nombre d’ordinateurs dans une école de 6 classes : 25 ordinateurs + 20 iPad.

6/ Nombre de vidéoprojecteurs : dans chaque classe exit le tableau noir et la craie, tout se passe par vidéoprojecteurs.

7/ Nombre d’enseignants supplémentaires : outre les enseignants « spécialistes » mentionnés plus haut, l’école dispose d’une orthopédagogue à demeure, d’un enseignant RASED et d’un enseignant UPE2A qui prennent les élèves soit en classe soit hors classe. Il y a également un enseignant à plein temps chargé un TES (Technicien en éducation spécialisée) uniquement de la gestion des élèves « à problèmes » ou « perturbateurs » qui sont immédiatement sortis de la classe pour lui être confié. Un travail psychologique est effectué par cette personne.

8/ Nombre de directeurs : un directeur + un directeur adjoint  dans les petites écoles ou 2 directeurs dans les grandes écoles et deux directeurs adjoints.

9/ Nombre de personnels non enseignants dans l’école : 1 surveillante générale + des surveillants +  1 secrétaire qualifiée qui seconde le directeur (deux secrétaires qualifiées si 2 directeurs) + 1 ou 2 directeurs adjoints selon la taille de l’établissement.

10/ Nombre d’années consacrées aux primo-arrivants : systématiquement les ENAF sont pris en charge dans une classe fermée par un professeur de soutien linguistique pendant 2 ans pour apprendre le français. Leur nombre ne peut dépasser 15. Ensuite, ils intègrent une classe de leur âge et bénéficient encore de soutien linguistique pendant é années supplémentaires.

11/ Nombre de semaines de vacances : 2 semaines à Noël / 1 semaine en mars / 8 semaines en été + certains jours fériés comme la Fête Nationale du Québec (24 juin), le jour des Patriotes (en mai), la fête du travail (1er lundi de septembre)…

12/ Nombre de remplaçants : dès qu’un enseignant est absent, le directeur demande un remplaçant qui arrive immédiatement (ce sont des suppléants qui ont des contrats de remplaçants).

13/ Nombre d’années d’études au Québec : les enseignants étudient pendant 4 années pour obtenir le brevet d’enseignement.

14/ Salaires : beaucoup plus élevés qu’en France ! 3 200 euros net/mois au bout de 14 années d’enseignement. La vie québécoise n’est guère plus chère qu’en France. 

15/ Cadre juridique : l’école au Québec est une entité juridique qui a un budget propre. Il est facile de déposer des projets qui sont rapidement acceptés et subventionnés par le gouvernement du Québec, des banques associées. 

16/ Ecole de la bienveillance : les élèves tutoient tous les enseignants qui ne les appellent pas élèves mais « amis ». Ils sont autorisés à apporter leur doudou en classe. Il n’y a pas de coopérative demandée ni d’uniforme. L’école publique est entièrement gratuite. Les parents sont très respectueux des enseignants et correspondent via le carnet de correspondance.

Après avoir constaté tous les points listés plus haut, non seulement je m’étonne de la différence de traitement entre la France et le Canada, plus particulièrement la Belle Province, mais je suis scandalisée par cette situation et je reste persuadée que ce qui est possible ailleurs l’est également chez nous. 

Le but de ce compte-rendu est de vous faire connaître ce qu’il est possible de réaliser lorsque l’enfant et l’élève sont au centre des préoccupations gouvernementales comme c’est le cas dans la plupart des pays d’Europe et plus particulièrement au Canada. Alors pourquoi pas chez nous ?

Je reste à votre entière disposition pour tout renseignement complémentaire.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre de l’Education Nationale, l’expression de mes sentiments respectueux.

Véra TUR-GRIGORIEFF

Retraitée Education Nationale, Chevalier de l’Ordre National du Mérite, Médaille d’Or Jeunesse Education Populaire, Chevalier de la Légion d’Honneur pour services rendus à la République

Publiée avec autorisation de l’auteure, mercredi 1er mars 2023.