Un rapport d’Inspecteurs Généraux sur la direction d’école a été rendu public dernièrement, nous vous proposons ici quelques extraits marquants.
Si on lit entre les lignes des 78 pages, notamment leur conclusion, la nécessité d’une professionnalisation des directrices et directeurs d’école dans un avenir proche est préconisée.
Extraits
“Le décret d’application de la loi Rilhac du 14 août 2023 demande aux directeurs et directrices d’école de devenir les pilotes pédagogiques, d’orienter et de conseiller les membres de l’équipe enseignante, de fédérer les talents et les énergies pour une cohérence pédagogique renforcée et une meilleure réussite des élèves.
Comment aider les directrices et directeurs à gagner en confiance et en légitimité ?
Comment les former à piloter avec expertise et cohérence pédagogiques les cycles d’apprentissage, à orienter les contenus et réguler les échanges dans les instances pédagogiques ?
Comment les aider à mieux exploiter les résultats des élèves aux évaluations nationales standardisées et à faire de l’évaluation d’école un levier d’amélioration du projet pédagogique de leur école et de la réussite des élèves ?
La mission d’inspection générale émet dans son rapport rendu public il y a quelques jours des recommandations visant à aider les directeurs d’école concernés par les réponses opérationnelles à apporter à ces différentes questions.”
Les visites sur le terrain des Inspecteurs Généraux
Les 19 auteurs de ce rapport, tous des Inspecteurs Généraux de l’Education Nationale, se sont rendus dans 100 circonscriptions de 43 départements (de nombreux IEN nous avaient d’ailleurs demandé de donner un calendrier de nos réunions pour les donner en amont aux 19 IGEN) afin d’y observer des conseils de maîtres et des conseils de cycle et de mener des entretiens avec le directeur de l’école, l’IEN, le référent direction d’école et l’IA-DASEN de chaque département visité afin de recueillir au plus près la perception des acteurs de terrain qui font vivre l’école au quotidien.
La mission au total a observé 116 conseils de maîtres et 88 conseils de maîtres de cycle, soit 204 réunions. Elle a mené 416 entretiens au total.
Les constats
Les Inspecteurs en introduction, font un état des lieux de la direction d’école et notent une grande disparité avec des départements allant de 32 directeurs comme en Lozère à 1 216 directeurs dans le département du Nord.
Le rapport précise que la direction d’école est une profession féminisée à 85 %. 17% des directeurs ont le CAFIPEMF, 40% des directeurs rencontrés ont une habilitation en langue, 3% des directeurs rencontrés sont titulaires du CAPPEI et 6% d’entre eux assurent les fonctions de référent direction d’école.
« Je cours après le temps, tout le temps, tout le temps »
La question du manque de temps a été une constante des échanges que la mission a pu avoir avec les directeurs d’école. Le manque de temps, en dépit d’une augmentation du temps de décharge des directeurs, nécessaire pour répondre aux nombreuses sollicitations du quotidien, s’est révélé être un leitmotiv des entretiens menés par la mission. Il va de soi que le staccato de leur quotidien génère de fortes répercussions sur le temps de réflexion, de lecture et de travail de préparation qu’il est possible de dédier aux instances pédagogiques et au pilotage de l’école. Ce rythme trépidant leur laisse peu voire pas de temps et de disponibilité d’esprit pour lire, prendre de la hauteur et se consacrer à une réflexion pédagogique poussée.
La partie administrative des missions du directeur d’école peut être lourde voire complexe et les directeurs doivent souvent traiter une grande quantité d’informations, parfois redondantes, car leur parvenant par différents canaux de diffusion (mairie, DSDEN, circonscription, etc.) ; ils doivent encore donner suite à de multiples demandes : enquêtes et sondages, appels à projets, suivi des parcours et des dispositifs, etc.
De nombreux directeurs ont évoqué parmi leurs difficultés principales la gestion des urgences et les périodes particulièrement chargées d’un point de vue administratif, comme le sont la période de la rentrée et celle des élections des représentants de parents d’élèves.
Peuvent venir s’ajouter des phases ponctuellement lourdes à gérer, comme une période placée en Plan Vigipirate renforcé ou la remontée d’une enquête dans des délais courts. « C’est difficile de tout faire », explique à la mission une directrice du sud-ouest de la France, « 8 classes avec 33 % de décharge, c’est compliqué », ajoutant qu’« [elle] rêve d’un mi-temps » de décharge pour son école à 8 classes.
À Mayotte, où l’on trouve une dizaine d’écoles à 30 classes ou plus, il peut être difficile pour le directeur de trouver le temps nécessaire pour assurer un pilotage pédagogique.
Certains directeurs ont aussi fait part du temps qui leur est nécessaire pour accompagner les nouveaux personnels, qu’il s’agisse de néo-titulaires, de contractuels, de stagiaires, et plus généralement de personnes présentes dans l’école (AESH, ATSEM, intervenants extérieurs, services civiques, etc.). « J’aimerais avoir une aide administrative pérenne pour ne pas avoir à tout réexpliquer chaque année au service civique qui est là temporairement. C’est usant et cela ajoute de la difficulté à la difficulté », explique la directrice d’une école à 8 classes.
De telles situations, qui demandent aux directeurs d’intégrer de nouveaux personnels, les mettent devant des défis supplémentaires alors qu’ils sont déjà happés par « les réponses à apporter aux urgences en urgence », les solutions à trouver face aux « problèmes inédits qui surviennent sans crier gare ».
La mission pointe l’impérieuse nécessité d’apporter aux directeurs une aide qualifiée qui leur fournirait un soutien logistique dans le travail administratif incompressible et les seconderait dans des tâches de secrétariat.
Une telle aide administrative devrait être coordonnée avec le taux de décharge et la taille de la structure scolaire. Il pourrait aussi s’agir, pour les écoles urbaines et d’une certaine taille, d’un gardien qui se chargerait de l’accueil et de la maintenance au quotidien.
Enfin, avoir un « premier adjoint » en appui au pilotage pédagogique, partiellement déchargé le cas échéant, peut être une autre piste à explorer. Le financement de cette mesure pourrait être en tout ou partie gagée sur la baisse des effectifs d’élèves dans le premier degré, baisse qui devrait se poursuivre pendant plusieurs années, compte tenu de l’évolution de la natalité en France.
Une réflexion sur ces sujets s’impose si l’on veut que l’action des directeurs d’école soit désormais plus fortement centrée sur le pilotage pédagogique et le développement d’une culture de l’évaluation des acquis des élèves, partagée et analysée avec l’ensemble de l’équipe pédagogique, sous leur impulsion.
La mission considère qu’une décharge renforcée, assortie d’un appui administratif adapté à la structure de l’école, servirait un meilleur pilotage pédagogique.
Loin d’éloigner complètement le directeur de la classe et de le délégitimer, cela lui donnerait du temps pour prendre en charge des groupes ou des classes, à des fins de décloisonnement réfléchi et construit en équipe, de libération de temps de co-observation, de formation continue des enseignants de l’école, voire de soulagement de l’équipe en cas de remplacement de courte durée, autant d’actions qui servent le pilotage pédagogique de l’école et de l’équipe et contribuent à la réussite des élèves.
Un métier
Nombreux sont les directeurs qui désignent par le terme « métier » les missions qu’ils exercent au quotidien.
L’évolution des missions des directeurs
Dans le contexte d’exercice des missions des directeurs qui vient d’être décrit, la loi Rilhac du 21 décembre 2021 créant la fonction de directrice ou de directeur d’école fait une entrée remarquée.
Elle va inaugurer une série de textes réglementaires allant dans le sens d’une professionnalisation de plus en plus aboutie de la fonction de directeur d’école.
Force est de constater que la fonction de directeur fait l’objet d’un important changement de paradigme entre 1989 et 2023.
Le décret 2023-777 du 14 août 2023 précise les évolutions qui concernent la fonction de directeur d’école depuis le dernier décret de 1989 qui en traçait déjà la répartition en trois pôles distincts : le fonctionnement de l’école, le pilotage pédagogique et les relations avec les partenaires. Désormais, il est affirmé que le directeur a autorité fonctionnelle sur l’ensemble des personnes présentes dans l’école pendant le temps scolaire, c’est-à-dire aussi sur les personnels municipaux, qu’il s’agisse des agents techniques ou des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM).
Il peut dorénavant fixer seul les modalités d’utilisation des locaux et organiser le service des agents communaux, tels que les agents du périscolaire et de la restauration. Il participe au Plan particulier de mise en sécurité (PPMS), mais ne l’élabore plus. De responsable pédagogique qu’il était jusqu’alors, le directeur d’école devient pilote pédagogique, et conduit plutôt qu’il ne coordonne la dimension pédagogique du projet d’école, qualifié d’ailleurs de « projet pédagogique de l’école » dans le décret.
Il est encore l’interlocuteur compétent auprès de la commune ou des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).
La mission souhaite indiquer que la notion d’autorité fonctionnelle, fait l’objet de questionnements parfois inquiets chez les directeurs d’école et au sein des équipes qui n’en perçoivent pas toujours la nature précise ni le périmètre exact.
La mission rappelle, de manière schématique, que l’autorité hiérarchique renvoie au recrutement, à la gestion de carrière ou encore à l’évaluation des agents.
L’autorité fonctionnelle peut être définie comme le « pouvoir » dont sont investies certaines personnes à raison de la fonction qu’elles remplissent ou qu’elles exercent dans un cadre institutionnel déterminé ; elle renvoie à l’encadrement au quotidien, à la répartition des tâches, et plus généralement, à ce qui relève de l’organisation du travail des personnels.
Pour les PE, il n’y a pas d’équivoque possible concernant les deux autorités dont ils relèvent : l’autorité hiérarchique de l’IEN et l’autorité fonctionnelle du directeur d’école.
Les directeurs, longtemps habitués à mettre en œuvre des décisions prises par d’autres, se voient ainsi dotés d’une nouvelle autonomie contrôlée.
La loi Rilhac méconnue des directeurs
La mission a constaté, chez la plupart des directeurs d’école rencontrés, une méconnaissance ou une perception vague d’un décret qui redéfinit pourtant leurs missions de manière significative sous certains aspects, notamment celui du pilotage pédagogique.
Un cadre académique va expliquer : « Les directeurs d’école n’ont pas vraiment pris la mesure des évolutions induites par le décret. (…) La représentation historique de la fonction est encore présente chez beaucoup, sans corrélation avec la taille de l’école ».
Le décret définit aussi leurs conditions de nomination et d’exercice ainsi que leurs conditions de formation, d’évaluation et d’avancement.
Les directeurs d’école ont semblé davantage connaître le décret n° 2023-782 paru le 16 août 2023 relatif au respect des principes de la République et à la protection des élèves. Il est symptomatique que les directeurs aient davantage eu à l’esprit le décret relatif au harcèlement scolaire plutôt que celui qui évoque leur rôle renforcé dans le pilotage pédagogique, car leur priorité absolue reste d’assurer la sécurité des élèves et des membres de leur équipe.
Conclusion du rapport
L’évolution majeure qui affecte le métier de directeur d’école est celle qui demande de passer d’une logique de corps – celui auquel ils appartiennent comme leurs pairs enseignants – et de ligne hiérarchique locale dans la circonscription à une logique de pilotage davantage horizontal et responsabilisant, d’administration centrée et partagée, en ayant fortement conscience des enjeux pédagogiques pour une vision modernisée de la fonction de directeur d’école.
Cette évolution présuppose pour l’institution et à ses différents échelons, de faire confiance à ces acteurs de terrain, à leur responsabilisation et leur capacité de prise d’initiative en tant que pilotes des écoles, et donc de faire en sorte qu’ils soient accompagnés, formés et soutenus.
Affirmer un rôle pédagogique renforcé du directeur d’école, c’est aussi travailler à l’installation progressive d’une nouvelle culture professionnelle des équipes pédagogiques du premier degré, plus collective, au bénéfice de de sa classe.
Il va de soi que la professionnalisation renforcée des directeurs d’école qu’implique le nouveau décret les concernant nécessite de les former pour leur permettre d’assurer leur mission essentielle de pilotage pédagogique de l’école.
Parmi les freins actuellement identifiés à un pilotage pédagogique efficace de leur école par les directeurs, la mission en souligne deux essentiels : le manque de temps et le défaut de compétences didactiques et pédagogiques qu’une absorption quotidienne dans des problématiques administratives ou relationnelles ne permet pas de renforcer.
L’évolution de la fonction et des missions du directeur d’école ne va pas sans l’évolution corollaire de la représentation que le directeur lui-même, mais aussi les membres de son équipe pédagogique et les IEN, ont de son rôle selon l’objectif à atteindre pour l’école.
Le directeur d’école demande désormais à être responsabilisé et mis en situation d’exercer sa relative autonomie dans le cadre d’un lien de confiance avec les acteurs de la circonscription, du département et de l’académie.
Il s’agit pour lui de trouver un équilibre entre l’autonomie que le décret lui accorde et son inscription attendue dans la chaîne institutionnelle. Les contours de ses missions aujourd’hui sont clairs : le directeur d’école doit contribuer à la réussite des élèves en adaptant au niveau local les directives nationales, académiques, départementales et en adoptant un rôle majeur d’impulsion du travail en équipe et de premier garant des réponses à apporter aux besoins des élèves.
Il est essentiel de développer voire parachever la professionnalité des directeurs d’école.
Le rapport in extenso est à retrouver ici.